Petit Jean devenu grand…
À La Tuque, j’avais comme chauffeur de taxi un nommé Louis Rochon, gros et grand gaillard, jovial, bon vivant, jouissant d’une bonne réputation. Il était propriétaire de sa voiture et je recourais à lui surtout l’hiver, quand j’étais appelé la nuit pour un accouchement.
Souvent, Louis m’avait dit qu’il regrettait de ne pas avoir d’enfant et un jour il me dit que si jamais il m’arrivait de mettre un enfant au monde qui n’aurait pas de père et si la mère avait du bon sens, de le lui donner.
Une nuit, on m’appela pour accoucher une jeune fille de vingt-trois ans que je connaissais bien parce qu’elle avait travaillé comme servante chez une de nos amies. Il lui était arrivé un accident. Elle travaillait maintenant comme servante dans une maison de pension. Sa maîtresse qui avait pitié d’elle, la garda pendant les derniers mois de sa grossesse, à l’abri des regards indiscrets de ses pensionnaires.
Je l’accouchai avec comme assistante, sa maîtresse. Durant la période d’attente, je me demandai ce que je ferais de l’enfant. C’était tout un problème. Nous ne pouvions le garder à LaTuque et il me faudrait trouver quelqu’un pour porter l’enfant à Québec à une crèche quelconque. La pauvre enfant n’avait pas d’argent et il faudrait payer quelqu’un pour le transport.
Tout à coup, je pensai à mon ami Louis. Quand l’accouchement fut fini, j’enveloppai l’enfant dans une couverte et je me rendis chez Louis. Il était trois heures a.m.. Je sonnai au deuxième étage, et je vis par la porte vitrée, venir mon Louis à moitié endormi et portant un grand Penman «88», la chevelure tout ébouriffée. Quand il m’ouvrit, je déposai mon précieux objet dans ses bras en lui disant: «Louis, il y a longtemps que tu veux un petit, en voilà un tout fait et un beau par dessus le marché.» Louis était tellement estomaqué et surpris qu’il ne me remercia même pas.
Le lendemain, Madame Rochon ne se leva pas! À la surprise générale, elle avait eu un bébé et personne ne s’était douté qu’elle était enceinte. Elle avait bien caché son jeu et pour cause!
Le lendemain, mon Louis se promenait le torse bombé, disant à tout le monde qu’il était maintenant père d’un gros garçon et faisait la distribution de cigares à tous ses amis.
On porta l’enfant sur les fonts baptismaux à l’église paroissiale et c’est tout juste si je n’ai pas été le parrain de l’enfant! Ça aurait été pousser les choses un peu loin!
Je vis grandir l’enfant, cours primaire et secondaire à Québec.
Vingt-deux ans plus tard, passant à Trois-Rivières, j’arrêtai dîner chez Kerhulu avec ma femme. À une table voisine, mon Louis était là avec sa femme et un beau grand garçon blond et une jeune fille. Louis me reconnut et vint m’annoncer qu’il célébrait la graduation de son fils Jean comme médecin et les fiançailles avec la jeune fille qui l’accompagnait.
Pour une fois, j’avais fait un bon coup.