Le curé Corbeil

Au début de ces notes, j’ai raconté ma première entrevue avec le curé de La Tuque. L’accueil qu’il m’avait fait n’avait pas été des plus chaleureux et aurait certainement découragé un autre que moi. Au lieu de me décourager, cet accueil avait été comme un coup de fouet et un défi que je relevai.

Quelques semaines plus tard, je le voyais grimper avec ses trois cents livres les vingt-deux marches qui le menaient à mon bureau. Il était essouflé, cela va sans dire. Il fumait son éternel cigare et il venait s’informer comment ça allait!!

Que c’était-il passé entre notre première entrevue et cette première visite? Je ne l’ai jamais su. Avait-il attendu le départ du Docteur Vilandré avec qui il n’était pas dans les meilleurs termes? Avait-il admiré mon cran et mon audace pour lui avoir tenu tête dès notre première rencontre? Ce que je sais, c’est qu’il est devenu mon meilleur ami et mon protecteur durant les dix-huit années suivantes.

Le curé était le prototype du curé Labelle des pays d’en haut. Je ne regarde jamais le programme des «Belles histoires des pays d’en haut» sans revoir dans la personne du curé Labelle, celle du curé Corbeil. Même corpulence, même caractère, impulsif et violent, même timbre de voix, même autorité et même cœur d’or. Il aurait pu vider ses goussets pour aider quelqu’un dans la misère. Après avoir fait ses études à Ottawa* et à Ste-Thérèse, il était envoyé dans la région de La Tuque comme missionnaire. Ce qu’il en fit du défrichage comme il disait. Il travailla à la construction du Transcontinental, travailla à la construction de la première église, quand il fonda La Tuque à l’arrivée de la compagnie Brown Corporation.

Le curé Corbeil était un prédicateur hors pair. Il fallait l’entendre commenter l’Évangile du jour. Il se réservait la messe de huit heures le dimanche matin.

C’était la messe des enfants. Les sermons qu’il leur faisait les intéressaient au plus haut point. Il se mettait à leur niveau et je puis vous affirmer que les enfants ne s’endormaient pas comme ils le font en écoutant les sermons que l’on nous sert ces années-ci!! Le curé Corbeil était un bon vivant. Il aimait à faire bonne chair et les vicaires, maigres qu’ils étaient en arrivant à La Tuque, en repartaient gras et joufflus. On ne s’ennuyait pas à la table du curé. Il n’aimait rien autant que de taquiner ses vicaires et ses invités.

Il était tranché dans ses opinions et aimait beaucoup les discussions. Il était cependant assez intelligent pour accepter l’opinion des autres mais il ne cédait pas facilement. Il riait de bon cœur quand nous lui apportions des arguments qu’il ne pouvait réfuter. En politique, il était conservateur jusqu’au fin fond de l’âme. Sur ce point, nous nous accordions bien puisque j’étais aussi conservateur que lui. C’est probablement une des raisons pour laquelle il m’aimait tant.

Il était fervent de la belle musique et invitait des artistes de renom à venir faire des concerts à La Tuque. Naturellement, les artistes étaient ses invités et demeuraient au presbytère.

Érudit dans toutes sortes de domaines, il lisait beaucoup et se tenait à la page tant sur le plan politique local qu’international. Il était abonné à quantité de revues et périodiques français. Quelques-uns de ces périodiques n’étaient pas trop catholiques!

Le curé Corbeil avait beaucoup d’amis et il les recevait bien, même des politiciens dont il ne partageait pas les idées tel que l’honorable Alexandre Taschereau, alors premier ministre de la province qui se faisait un devoir et un plaisir de venir saluer le curé quand il venait à la pêche dans la région. Et ces visites d’un si bon libéral chez un si bon conservateur faisaient le désespoir des vieux libéraux de la place qui n’y comprenaient rien.

Les dirigeants de la compagnie Brown étaient des meilleurs amis et pour cause. Les unions voulaient venir s’implanter chez les ouvriers et le curé se chargeait de les éloigner. Il fallait entendre le curé quand il apprenait que les trouble-fêtes étaient dans les parages. Ceux-ci n’avaient qu’une chose à faire et c’était de reprendre le premier train.

Mon curé était un grand voyageur devant l’Éternel. Il était allé plusieurs fois en Europe, c’était quelque chose. Il avait toujours un bon prétexte pour justifier ces voyages. Il était supposé faire des cures à Vichy. Je ne crois pas qu’il y soit jamais allé! On l’aurait mis à la diète et il n’aurait pas supporté cela.

Le curé Corbeil était doué d’un dynamisme incroyable. Il n’avait peur de rien et il n’y avait personne pour l’empêcher de foncer dans le tas quand il le fallait.

Un jour, un jeune homme était accusé d’avoir empoisonné sa mère. Le curé qui croyait dur comme fer à l’innocence du jeune homme engagea à ses frais le meilleur criminologiste qu’il put trouver. Le jeune homme fut condamné à mort. Le curé porta la cause en appel et cette cour confirma le verdict. Le curé était furieux, cela va sans dire, et me dit que les choses n’en resteraient pas là. Il ne restait que la Cour Suprême. Il sauta dans son auto, s’en alla directement à Ottawa rencontrer l’honorable Ernest Lapointe, alors ministre de la Justice qu’il ne connaissait même pas. Résultat: le jeune homme fut acquitté dans le bureau du ministre. Il n’y eut pas de nouveau procès et le jeune homme revint à La Tuque en disant à tous ceux qui voulaient l’entendre que le curé Corbeil était le meilleur avocat au monde, bien meilleur que celui qui l’avait défendu à son procès!

Mon curé était un grand malade. Il souffrait de diabète et il croyait qu’avec les injections d’insuline qu’il se donnait à tous les jours, il pouvait manger n’importe quoi.

Je me rappelle encore du premier déjeuner que je pris avec lui. Il disait sa messe une fois par semaine à l’hôpital et y déjeunait. Ce matin-là, il me vit passer dans le corridor. Je venais de faire un accouchement. Il m’invita à déjeuner avec lui. Il avait devant lui un plat avec une tranche de steak et six oeufs rôtis et à côté douze rôties bien comptées. Il avala le tout pendant que je mangeais mes deux rôties.

Un jour, il vint à l’hôpital Notre-Dame à Montréal pour un examen annuel. Le docteur Gariépy le traitait pour son diabète. Celui-ci le mit à un régime sévère, une cure d’amaigrissement. Il y avait pesée quotidienne et tout allait bien. Un bon matin, le docteur pèse son patient et constate qu’il avait engraissé de six livres dans une seule nuit. Il n’y comprenait rien.

Le docteur s’est demandé longtemps ce qui était arrivé. Moi, je l’ai su. Le curé avait de nombreux amis à Montréal. Par téléphone, il en rejoignit une douzaine et les invita à un banquet au Ritz Carlton. Il avait soudoyé sa garde-malade en lui donnant cinq dollars et avait déserté l’hôpital à neuf heures du soir pour revenir à deux heures du matin.

Il paraît que ce fut toute une boustifaille. Le curé en me racontant ce tour qu’il avait joué à son docteur riait de grand cœur.

La Tuque faisait partie du diocèse d’Hailebury d’Ontario et comme La Tuque était la plus grosse ville du diocèse, elle se trouvait à en être la vache à lait. Malheureusement, l’évêque était le confrère du curé Corbeil et il y avait souvent des frictions entre mon curé et son évêque. Ces frictions atteignirent à un moment donné leur point culminant et le curé décida de se séparer d’Hailebury. Il alla voir l’évêque des Trois-Rivières, monseigneur Comtois. Celui-ci ne demandait pas mieux que de voir La Tuque attachée à son diocèse. C’était la logique même. Cependant, la situation était un peu délicate. Entre évêques, on ne se joue pas des tours comme ça et monseigneur Comtois conseilla au curé de voir le délégué apostolique au Canada, monseigneur Antinuetti.

Aussitôt dit, aussitôt fait, le curé s’en va à Ottawa rencontrer le délégué. Il expliqua son affaire et le délégué lui dit qu’il étudierait sérieusement la question.

Quelques semaines plus tard, le délégué s’amène à La Tuque «incognito.» Le curé me téléphone pour me demander si j’avais une bouteille de scotch. Rarement il était pris au dépourvu. Cette fois-là, il l’était. Heureusement, j’en avais.

Je passai la veillée avec eux et je m’aperçus qu’un délégué apostolique, c’est un gars comme un autre qui sait boire et manger comme tout le monde.

C’était un peu extraordinaire d’entendre mon curé exposer ses griefs contre monseigneur Rhéaume, qui avait une mentalité ontarienne en plus d’être Oblat et qui ne comprenait rien aux problèmes éducationnels du Québec.

Le curé plaida sa cause tellement bien que quelques mois plus tard, La Tuque faisait partie du diocèse des Trois-Rivières. Monseigneur Rhéaume avait trouvé chaussure à son pied.

Le curé Corbeil avait un cœur d’or. Il était le parrain de la première de mes filles, Lise. Il la guettait quand elle sortait du couvent, l’assoyait sur ses genoux et lui glissait un dix dollars, et dans ce temps-là, dix dollars, c’était quelque chose.

Combien d’étudiants n’a-t-il pas aidé de sa poche pour parfaire leurs études et toujours tout cela se faisait sans ostentation. Personnellement, il m’a aidé financièrement à mes débuts. Il décida même que je devais me marier. Quand je lui eus dit que je n’en avais pas les moyens, il prit 500,00$, me les donna et me dit: «Petit gars, marie-toi au plus tôt, c’est mieux pour toi.» Avait-il peur à ma vertu? Je ne l’ai jamais su!

Et pendant dix-huit années, nous fûmes de bons amis. Quand il était à La Tuque, il venait régulièrement nous visiter au bureau le matin. Il empestait royalement la maison avec son gros cigare, au grand désespoir de ma femme. Mais il était si bon qu’on lui pardonnait bien cela.

Je fus son médecin pendant ces dix-huit années et à un moment donné, en pleine crise cardiaque, je dus le transporter en avion à Montréal, encore dans un petit avion fait pour deux personnes. Il fallut agrandir les portes pour glisser le malade dans la carlingue. La compagnie Brown avait nolisé cet avion du Lac à la Tortue. Aucun avion de Montréal n’avait consenti à venir parce qu’il n’y avait pas de plafond. L’avion avait comme pilote ce même jeune Warren qui m’avait conduit lors de mon premier voyage. Il avait amerri sur le Lac à Beauce à huit milles de La Tuque. Beaucoup de gens, y compris deux de mes filles, étaient venus assister à notre départ et je suis sûr que plusieurs d’entre-eux ont fait une petite prière à nos intentions.

L’avion s’envola en rasant la tête des arbres, et vogue l’avion à la grâce de Dieu! Il pleuvait et on ne voyait absolument rien à cause de la brume. Ce qu’on en fait des réflexions dans des moments pareils et comme on se trouve petit.

Tout à coup, je regarde dehors et à peu près à cent pieds, j’aperçois le clocher de la Cathédrale des Trois-Rivières. Nous l’avions évité de justesse. Pour atteindre Montréal, il nous fallut suivre le St-Laurent à peu près à deux cents pieds d’altitude.

Pas besoin de dire que j’étais heureux de débarquer de l’avion à Longueuil. Encore une fois, j’avais risqué ma vie pour sauver celle de mon curé à qui je devais bien cela.

À partir de cette crise, mon curé ne prit jamais le dessus et deux ans plus tard, il me mourait dans les bras en me serrant la main avec des grosses larmes dans les yeux et en murmurant: «Max…»

Ce fut son dernier mot. Je dois avouer que je pleurai comme un enfant. Je perdais mon meilleur ami, mon compagnon de dix-huit ans dont l’amitié ne s’était jamais démentie, et mon bienfaiteur.

Complément

L’Abbé Eugène Corbeil est né à Clarence-Creek, Ontario, le 12 janvier 1877. Il a été ordonné prêtre le 29 juin 1901. Il fut vicaire à Bourget, à Buckingham, à la cathédrale d’Ottawa, à Papineauville et à Angers. Il fut aussi Curé fondateur de l’Ascension (1903-1908) et Curé fondateur de La Tuque (1908-1939) où il fut inhumé le 11 septembre 1939.

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