Jumelles

Une nuit, je reçois un appel téléphonique d’urgence. On ne me dit pas de quoi il s’agissait. Je saute dans mes culottes «comme un pompier» comme disait ma femme et j’ai devant moi, une jeune fille de dix-sept ans qui était en train d’accoucher.

Heureusement que j’avais toujours dans ma voiture ma trousse pour accouchement. Elle se tordait de douleurs et sa soeur, un peu plus âgée qu’elle, était à ses côtés. Le père et la mère ainsi que le frère dormaient à l’étage supérieur. Il n’était pas question de la transporter à l’hôpital et de plus l’hôpital n’acceptait pas de fille-mère. Je dis à ma patiente que j’étais pour l’endormir et elle devait se mettre dans l’idée de ne pas se plaindre. Je la rassurai et sa soeur commença l’anesthésie à la mixture éther et chloroforme. Elle coopéra pleinement et ne dit pas un mot et s’endormit profondément. L’accouchement se fit le plus naturellement du monde.

Comme je craignais le réveil des parents avec les cris du bébé, je l’enveloppai dans une couverte de laine et je dis à sa soeur d’aller s’asseoir dans ma voiture et de m’attendre. En revenant dans la chambre, à ma grande surprise, ma patiente avait encore de fortes douleurs, trop fortes pour le simple décollement du placenta. Je l’examinai et constatai qu’il y avait un autre bébé qui s’annonçait. Cette fois, j’étais seul. Il fallait que je réendorme ma patiente. Le deuxième accouchement se fit aussi bien que le premier. Je l’enveloppai dans une autre couverte et avec un bébé dans chaque bras, je me dirigeai vers l’hôpital.

Je vois encore la figure de Soeur Hélie quand je lui mis les deux bébés dans les bras, sans aucune explication! En vitesse, je retournai à ma patiente pour extraire le placenta.

Quand tout fut fini, je mis un sac de glace sur le ventre de la petite mère et je retournai me coucher. Grande surprise des parents de constater le lendemain matin que leur fille avait eu une attaque d’appendicite durant la nuit. On m’avait fait venir et on n’avait pas voulu les déranger!!

L’explication passa comme du beurre dans la poêle et les jours suivants, j’étais heureux de dire aux parents que l’appendice se refroidissait et que leur fille n’aurait pas besoin de se faire opérer! Un mensonge blanc, s’il en fut jamais un!

Vous vous demandez comment il se fait que les parents ne s’étaient jamais aperçus de l’état de la jeune fille et des proportions qu’elle prenait?

La mère et sa fille étaient allées consulter un jeune médecin qui évidemment n’était pas fort en diagnostic. Il avait examiné les urines et comme il y avait trouvé de l’albumine, il avait déclaré qu’elle souffrait de néphrite aigue. Il ne l’avait pas examinée plus que cela. C’était un diagnostic à l’œil, s’il en fut jamais un!!

On transporta les jumelles à la crèche de Québec et la jeune maman allait les voir régulièrement à tous les mois, instinct maternel très prononcé. La jeune responsable payait la pension des jumelles. Elle tomba malade elle-même et n’ayant pas d’argent pour aller à Québec, elle cessa d’y aller. Au bout de quelques semaines, elle réussit à se ramasser assez d’argent et en arrivant à la crèche, on lui dit que ses jumelles avaient été données en adoption. On lui avait fait signer des papiers dès son premier voyage à Québec.

À partir de ce moment, l’ennui rongea la petite mère. Elle cessa de manger, fit de la neurasthésie et finit par échouer au sanatorium du Lac Edouard où elle mourut de tuberculose pulmonaire quelques mois plus tard.

Write a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *