Flamand

Pratiquant dans les pays d’en haut, j’étais souvent appelé dans les chantiers aux environs de La Tuque.

À quarante milles plus à l’ouest, il y avait un dépôt le long du Transcontinental. Ce dépôt servait de bureaux pour les compagnies d’opérations forestières et c’est de ces bureaux que les opérations étaient dirigées. On appelait ce dépôt «Flamand.»

Dans les chantiers proprement dits, il y avait les contracteurs et les sous-contracteurs, communément appelés «les petits chaudrons.» On n’a jamais su pourquoi. Ces contracteurs et sous-contracteurs amenaient leurs femmes avec eux autant pour faire la cuisine que pour tuer le temps. Ces contracteurs venaient presque tous de la région du Lac St-Jean et ne semblaient pas capables de se passer de femmes.

L’une d’elles tomba malade et on me téléphona. Je partis donc au mois de novembre par le train qui passait à La Tuque à une heure du matin et à trois heures je débarquais à Flamand. En débarquant du train, je m’attendais de voir quelqu’un sur le débarcadère pour m’accueillir. Il n’y avait personne. Ce qu’on peut avoir l’air bête tout fin seul en pleine nuit. Je parcourus la plate forme de long en large. J’entendais le train qui s’en allait et dont le bruit de la sirène se répercutait dans les montagnes. Enfin, je vis venir un jeune homme qui s’informa si j’étais le docteur et moi de lui dire: «Qui est-ce que ce pourrait être sinon moi?» Je ne puis m’empêcher de lui faire remarquer qu’il était joliment en retard, aucune explication. Je lui demandai où était sa voiture et lui de me répondre qu’il était venu à cheval. Je n’étais pas habillé pour faire de l’équitation et il faisait joliment froid. Je n’avais jamais fait d’équitation de ma vie et ce qu’on peut être maladroit quand on n’a pas d’expérience. Je ne me voyais guère partir à l’aventure à travers bois et à dos de cheval! Il n’y avait pas de choix. Il fallut embarquer sur ma monture. Il n’y avait pas de selle. On avait simplement jeté une couverture sur le dos du cheval. Il n’était pas fringant, loin de là.

J’installai ma trousse entre mes jambes et je partis. Le jeune homme m’avait dit de ne pas être inquiet et de ne pas diriger le cheval. Son instinct le conduirait tout droit à l’écurie. Il faisait joliment froid, en plein mois de novembre et la terre était gelée. Il n’y avait pas de neige. Tout ce que j’entendais, c’était le bruit des gros sabots de mon cheval sur la terre gelée.

Heureusement qu’il faisait un beau clair de lune. Je regardais les montagnes dénudées qui m’entouraient. Il y avait eu un feu de forêt quelques années auparavant et les arbres morts qui se découpaient dans le ciel, avec le clair de lune, ressemblaient à des squelettes qui me tendaient les bras. Au loin, j’entendais des hurlements qui venaient probablement des loups affamés. Je n’étais pas très rassuré. Plic et ploc, plic et ploc, faisait mon cheval sur la terre gelée. De temps en temps, il me fallait débarquer pour ne pas geler tout rond et me dégourdir. Je me laissais glisser en bas de ma monture et j’attendais de frapper un petit pont pour ré-embarquer. Ce n’était pas facile. Mon cheval de chantier avait un dos énorme et une fois dessus, j’étais écartelé sur un beau temps!

Ici et là, il y avait plusieurs chemins qui menaient je ne sais où et je n’osais guider mon cheval. Je le laissais faire à sa guise.

Tout à coup, nous arrivons sur les bords d’un ruisseau dont les bords étaient gelés. Mon cheval brisa la glace avec ses pattes, il s’abreuva, regarda ici et là. J’avais l’impression qu’il était aussi écarté que moi! À la fin, il fit marche arrière et reprit le chemin que nous avions parcouru.

La nuit y avait passé. J’étais transi jusqu’aux os en débarquant de mon cheval. Je pouvais à peine marcher. Je n’étais pas de bonne humeur, comme on peut se l’imaginer. Je pris un bon déjeuner, me couchai et dormis pendant quelques heures et dans l’après-midi, je sautais à bord d’un convoi de marchandises qui s’en allait vers La Tuque.

Qu’advint-il de ma patiente, je ne l’ai jamais su. J’étais tellement en sacre que je m’en foutais comme de l’an quarante. J’ai bien juré que l’on ne m’y reprendrait plus.

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