Antoine Boudreau

Antoine était un de mes bons amis, Acadien dans toute la force du mot avec un langage pittoresque qui le caractérisait comme celui de tous les gens des Maritimes.

Antoine était commis pour une compagnie d’opérations forestières à la Rivière aux Rats, à douze milles au sud de La Tuque. Il lui arrivait assez souvent de venir «en ville», comme il disait, et en profitait pour «se rinçer le dallot». Dans ces moments-là, il n’était pas désagréable, simplement exubérant et gai. Tout le monde aimait Antoine.

Un bon soir, il m’arriva au bureau en me disant qu’il venait me chercher pour traiter une cuisinière. Il avait eu le soin de passer à la taverne avant de venir me voir. Il était à tout le moins émêché. Il fallait parcourir ces douze milles sur un chemin de terre et à travers bois. Mon Antoine prenait des tangentes qui me faisaient passer des frissons sur le corps surtout quand nous longions le St-Maurice. Je regrettais d’être parti avec lui mais il fallait se fier à la Providence pour se rendre à bon port. L’Espex d’Antoine avait vu de meilleurs jours. Mon chauffeur me rassurait en me disant: «Crains pas Doc., on va se rendre.» Je craignais quand même.

Rendus à la Rivière aux Rats, il fallait traverser le St-Maurice qui était assez large à cet endroit. C’était au printemps et le courant était très fort. On s’installe dans la chaloupe, Antoine se met sur les rames et moi sur l’aviron. Il faisait noir et nous n’avions pour nous guider qu’une lumière de l’autre côté de la rivière.

Comme c’était au printemps, les billots descendaient à pleine rivière et il nous fallait naviguer à travers ces billots qu’on ne voyait pas. Ceux-ci frappaient la chaloupe et l’ébranlaient. Je n’étais pas sans me demander si elle était solide.

Tout de même, nous avancions lentement et sûrement. Tout à coup, la chaloupe s’échoua sur quelque chose et Antoine de me dire: «Garde donc voir Doc., on est rendu.»

Toujours en pleine noiceur, je ramasse ma valise et je débarque sur ce que je croyais être la rive. Ce n’était pas ça. Notre chaloupe s’était arrêtée sur des billots!

Je tombai à l’eau jusqu’au cou et j’y perdis ma valise. Heureusement, par instinct je m’étais accroché à un gros billot. Antoine me tendit une de ses rames à laquelle je m’agrippai. Il appela à l’aide et des hommes vinrent me tirer de là. Encore une fois, j’avais manqué de laisser ma peau.

Heureusement que la cuisinière n’était pas gravement malade. Je n’avais rien pour la soigner. Le lendemain matin, Antoine me reconduisait chez moi. J’en avais été quitte pour prendre un bain forcé! À l’eau froide par dessus le marché!

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